1298

Fragments de registres de la chancellerie de Sion

Des trésors cachés dans les doublures

Les registres de la chancellerie de Sion contiennent tous les actes privés passés dans l’ensemble du territoire sur lequel s’étendent les droits du Chapitre de Sion – le plus ancien fragment d’un tel registre date de 1255. Les actes sont enregistrés dans plusieurs registres différents, selon le lieu de leur stipulation ou réception. Après avoir pris des notes, en présence des parties prenantes dans le lieu de son activité, le juré de la chancellerie – le levator – doit les transmettre à Sion en vue de leur enregistrement à la chancellerie pour « mémoire perpétuelle » : les noms des parties, les clauses du contrat, les noms des témoins, la date et le lieu du contrat, le nom du levator sont ainsi inscrits. Ces registres « centralisés » sont conservés avec soin, puisqu’ils constituent la mémoire des actes privés pour l’utilité publique au même titre que les minutes des notaires, actuellement conservées par les Archives de l’État du Valais. Ils sont rangés dans l’église de Valère, d’abord dans une armoire, puis dans une salle fermée à clef, surveillée par un garde. Au milieu du XIVe siècle, les archives du Chapitre comptent 90 registres de chancellerie. Avec le temps, les actes perdent de leur valeur juridique...et, à partir du XVIe siècle, le parchemin de ces registres devenus inutiles est « utilement » réutilisé comme doublure pour des livres ou des cahiers ou pour renforcer des reliures.

Or, les archives de la Bourgeoisie de Sion conservent une collection de ces fragments de registres, dont certains ont été retirés des doublures ou couvrures de divers cahiers et volumes, puis réunis, sans doute au début du XXe siècle. Il s’agit d’une vingtaine de feuillets ou de bi-feuillets de parchemin, souvent endommagés, car ils portent les marques de leur réemploi: trous et déchirures le long des plis, taches diverses et traces d’usure lors des consultations répétées. Ces témoignages d’un lointain passé ont subi les conséquences du sens de l’économie...

Ce bi-feuillet de parchemin, dont la marge de droite est rognée, provient de l’un de ces registres, qui couvre la région de Sierre – les lieux mentionnés sont Venthône, Randogne, Mollens, Saint-Maurice-de-Laques, Lens et Anchettes. Il dénombre 23 actes passés entre le 11 juin 1298 et le 14 janvier 1299. Les actes, au sein du registre de chancellerie, sont toujours rédigés sous une forme condensée, avec de nombreuses abréviations.

Chaque acte débute par la formule de notification abrégée Notum etc. au lieu de Notum sit omnibus Christi fidelibus. Cette formule invite « tous les chrétiens » à prendre connaissance du contenu. Le N initial de Notum permet de mettre en évidence chaque entrée au sein du registre. Suit le nom du bénéficiaire de l’acte, puis la nature de la transaction (vente, donation, échange etc.), avec souvent le consentement de la parenté. Les noms des témoins sont introduits par un t pour testes et la liste se termine par le nom du levator, suivi des lettres qui h. c. le. – ce qui signifie qui hanc cartam levavit, « qui a levé ou reçu cette charte » : il s’agit ici toujours du clerc Aymo de Moleyn ou Aymon de Mollens. Enfin, l’entrée du registre, pour chaque acte, se conclut avec la mention du lieu, du jour et de l’année – celle-ci étant souvent simplement rappelée par un ut supra, « comme ci-dessus », par souci de concision.

Au début du XVIe siècle, ce bi-feuillet sert de doublure au cahier des notes prises par le notaire, chancelier ou secrétaire de la ville de Sion, Petrus Dominarum, lors du recensement des bourgeois qu’il mène entre 1527 et 1528. Au cours de cette vaste enquête, tous les bourgeois doivent présenter des lettres de bourgeoisie attestant qu’ils ont bien été reçus comme bourgeois eux-mêmes ou leurs ancêtres. Ce cahier, conservé sous la cote CH AEV, ABS, Tir. 22/54, fruit de ce travail de vérification, se trouve donc désormais à nu, privé de sa doublure. Nous voyons, écrit à l’envers, au bas du dernier feuillet de ce bi-feuillet de parchemin, le titre du petit registre qu’il protégeait précédemment, Liber annotationum veterum literarum burgesiae, soit « Livre d’annotations sur les anciennes lettres de bourgeoisie ». Au bas du premier feuillet, figurent l’ancien regeste ou description du document, de la fin du XIXe siècle, de la main du chanoine et archiviste Pierre-Antoine Grenat, ainsi que la cote écrite à l’encre violette, biffée. Au début du XXe siècle, la doublure de parchemin est retirée et reçoit une nouvelle cote. Cet exemple démontre à quel point l’histoire des archives se décompose en strates successives !

Anne Andenmatten, archiviste de la Bourgeoisie de Sion