1550

Lettre de Thomas Platter

Thomas Platter : un parcours hors du commun !

Thomas Platter, né autour de 1499 à Grächen, petit village de la vallée de Saint-Nicolas, meurt à Bâle, le 26.01.1582, à l’âge vénérable pour l’époque de 83 ans – si tant est que sa date de naissance soit correcte. Quel parcours pour ce fils de paysan, dont l’enfance fut rude et périlleuse ! Petit berger, il garde des chèvres dans les pâturages près de son petit village. Est-ce la prédiction du cardinal Schiner, alors évêque, lors de sa confirmation, qui, impressionné par son assurance, l’aurait volontiers imaginé devenir prêtre, toujours est-il que le jeune Thomas est envoyé très tôt à l’école et c’est pour lui une révélation. A 12 ans, il part sur les routes, avec un parent plus âgé, en Saxe et en Silésie, et devient un « écolier errant », mendiant pour survivre. A Zurich, il rencontre par chance un maître sympathique et bienveillant, Oswald Myconius, qui lui apprend non seulement le latin et le grec, mais aussi le métier de cordier. Sur les bords de la Limmat, il croise aussi la route de Zwingli et adhère à la Réforme. Après quelques autres pérégrinations, il s'installe définitivement à Bâle, dès 1532. Il y fonde une imprimerie, enseigne et dirige l’école latine (1541-1578) – école de la cathédrale, ancêtre du gymnase classique de Bâle – , tout en créant une pension accueillant jusqu’à quarante étudiants, dont beaucoup de jeunes Valaisans. Il se marie une première fois avec Anna Dietschi, servante de son maître Myconius, puis, en 1572, une seconde fois, avec Esther Gross, dont il a encore six enfants, élevés, après sa mort, par le fils issu de son premier mariage. C’est en 1572 qu’il rédige son autobiographie, écrite en ancien haut-valaisan, en l’espace de quelques jours, à l’intention de ses enfants, en particulier de son fils Félix, devenu médecin de la ville de Bâle et professeur à l’Université. L’humble chevrier valaisan connaît une ascension sociale spectaculaire, en devenant l’ancêtre d’une famille prospère de l’intelligentsia bâloise, à l’époque de l’humanisme et de la Réforme.

Cette lettre est datée du jour de Pâques – le 6 avril 1550 – à Bâle, période durant laquelle Thomas Platter est à la tête de l’école de la cathédrale et de sa pension pour étudiants. Elle témoigne de ses multiples activités de professeur, d’humaniste, mais aussi des liens qu’il a conservés avec sa patrie. En effet, il s’adresse amicalement à Johannes von Schallen, habitant à Sion, qui a étudié à Bâle, enseigné dans son école et qui est, de plus, son compatriote, dont il souhaite conserver l’amitié. En effet, ce Johannes von Schallen n’est autre que le fils de Thomas von Schallen, homme politique influent, originaire de Täsch dans la vallée de Saint-Nicolas, qui s’établit à Sion vers 1538 et en acquiert le droit de bourgeoisie. Johannes, devenu maître d'école, a aussi exercé en ville de Sion la fonction de sautier, puis de bourgmestre.

Thomas Platter s’excuse d’être trop accaparé par ses affaires, notamment par « l’embellissement de sa propriété », pour avoir le temps de lui écrire plus longuement. En effet, deux ans plus tôt, il a acquis le petit château de Gundeldingen datant la fin du Moyen Âge, appartenant à l’origine à une famille de la noblesse, et y a entrepris d'importants travaux de rénovation. Devenir propriétaire foncier est pour ce nouvel arrivant l’occasion d’une ascension sociale et il en tire une grande fierté. Il envoie aussi à son correspondant quelques nouvelles de Bâle et lui annonce la prochaine publication des œuvres de Démosthène par le sieur Hieronymus ─ il s’agit de l’historien et humaniste allemand Hieronymus Wolf, actif à Bâle dès 1547 auprès de l’imprimeur et humaniste Jean Oporin. Il informe ensuite son correspondant des progrès de la Réforme, retraçant une scène cocasse qui se serait déroulée durant la messe à Strasbourg : des écoliers auraient mis en fuite le clergé terrifié, en répandant une certaine rumeur (nous ne saurons pas laquelle) … et ainsi la ville est désormais « libérée des papistes ! » Le terme pfaffi dépréciatif pour désigner les « curaillons » n’est guère étonnant sous la plume d’un zélé propagateur des idées de la Réforme. La familiarité entre le maître et son ancien élève, sympathisant de la Réforme, se traduit par les salutations empreintes d’affection : « Mon très doux Johannes… », puis en conclusion, « Porte-toi bien et aime-moi en retour ! Si tu veux que je fasse quelque chose pour toi, demande. »

Cette lettre à caractère privé a sans doute rejoint les archives de la Bourgeoisie de Sion, lorsque la branche sédunoise de la famille von Schallen s’est éteinte, à la fin du XVIe siècle.

Anne Andenmatten, archiviste de la Bourgeoisie de Sion