1203

Vente de terres

L'abbé de Disentis en "voyage d'affaire" en Valais?

Les débuts de la chancellerie de Sion sont entourés d’une brume de mystère, en raison de la rareté des documents avant la seconde moitié du XIIIe siècle.

Cette charte originale conservée dans les archives de la Bourgeoisie de Sion fait justement partie de ces rares documents, puisqu’elle date de 1203, durant l’épiscopat de Guillaume de Saillon, comme l’indique la date tout à la fin de l’acte. Ces premières chartes de la chancellerie de Sion attestent un sens certain de la formule, de la concision et de l’économie – petit format de parchemin et simplicité de l’écriture.

Elle a été écrite au nom du chantre-chancelier, le chanoine Guillaume d’Ecublens (Willermus cancellarius de Escubelens) qui termine sa carrière comme évêque de Lausanne de 1221 à 1229. Il semble que diriger une chancellerie soit une bonne école pour apprendre la politique!

L’acte débute par la formule de notification Notum sit omnibus Christi fidelibus: tous les « fidèles du Christ » sont invités à prendre connaissance de son contenu. Suivent la dénomination de l’auteur de l’acte, le type d’affaire – ici une vente de terres –, le nom du bénéficiaire, la mention de l’objet traité avec ses confins. Avec le consentement de l’ensemble du Chapitre, l’abbé Albertus Desertinensis (de Disentis) vend à deux frères, Walterus et Rodolfus de Vineis, tout l'alleu provenant de deux de ses confrères, des moines valaisans, Reimundus et Lodowicus, des frères. Il s'agit de terres franches et libres de toute obligation ou redevance situées dans le territoire des paroisses de Naters et Mörel. Le montant de la transaction s'élève à 42 livres mauriçoises. Il demande que cette vente soit mise par écrit et ce en présence de plusieurs témoins. Cette requête prend la forme d’une formule dite de rogation.

Pour couvrir l’ensemble du Valais, la chancellerie va ensuite bénéficier d’une organisation bien rôdée: le levator se charge d’entendre les déclarations des parties et de les rédiger par écrit, puis de transmettre ses notes à Sion pour leur enregistrement à la chancellerie, dans des registres, où l’acte est ainsi soigneusement conservé pour l’éternité ou presque. Ultérieurement, les parties reçoivent l’expédition de l'acte, soit la copie conforme et certifiée qui leur est délivrée, si l’une ou l’autre en fait la demande. Cette dernière étape n’est toutefois pas indispensable et de loin pas systématique.

Bien souvent, les membres du clergé local sont désignés comme levatores des actes et peuvent à leur tour déléguer la rédaction à un autre scribe, placé sous leur responsabilité. C’est le cas ici de Rodolfus, prêtre de l’église de Naters, qui enjoint de rédiger l’acte au nom du chantre-chancelier Guillaume.

Les patronymes de certains des témoins révèlent qu’ils sont originaires de villages de la vallée de Conches, tels Gerungus et Humbertus de Blitzingen (Blicingen), Lodowicus de Gluringen ou Rodolfus de Fiesch (Vios). Un autre témoin Walterus prelatus de Ursaria, proviendrait de Urseren. Conradus de Sumovico et Gotscalcuus Lagenzun pourraient en revanche être des rhéto-romans, accompagnant l'abbé durant son déplacement. Quant aux autres, ils demeurent inconnus et la sonorité de leurs noms résonne d’une façon bien étrange à nos oreilles: Borchardus Blebanus – pour Plebanus, autrement dit le curé –, Olricus de Prato, Petrus Sidra, Johannes Suiche et beaucoup d’autres, dont les noms ne sont pas consignés.

Prenez garde, car une clause spéciale, pénale, conclut l’acte. Elle prend la forme d’une malédiction divine et d’une amende de 60 livres encourue par quiconque oserait enfreindre la charte.

Un mystère s’ajoute encore: Comment cette charte est-elle parvenue dans les archives de la Bourgeoisie de Sion? En tout cas, elle est le document original le plus ancien conservé dans ce fonds.

Anne Andenmatten, archiviste de la Bourgeoisie de Sion